Gamins d'Alep à Bursa
« Khale !* », m’apostrophe, dans une de ces rues à très forte inclinaison de notre quartier, Ahmad, un petit bonhomme de 7 ou 8 ans. « Tu peux m’aider à tirer ma carriole ? Je n’y arrive pas, c’est trop lourd et la pente est trop raide !». Ahmad est syrien. Je l’ai rencontré aujourd’hui pour la première fois alors qu’il essayait de rassembler dans un sac plastique déchiré des bananes à moitié pourries, des concombres et des pommes trouvées dans les poubelles du supermarché du coin. Il essayait vainement de l’accrocher à sa carriole trois fois plus haute que lui dans laquelle il entasse tant bien que mal les cartons ramassés sur les trottoirs. A chaque tentative, le sac se retrouvait par terre, les fruits s’éparpillant sur le sol. Avec un peu d’aide, il réussit enfin à sécuriser l’ensemble. Ahmad emmagasine dans son sac plastique son petit trésor : un pot de Nutella tout neuf, des simits, des böreks, des barres de chocolat et autres friandises qu’un passant a dû lui offrir pour adoucir sa dure vie de gamin de rue. Ahmad travaille, été comme hiver, sous le soleil, la pluie ou le vent pendant 12 heures et gagne 5 liras par jour (1,50 Euros).
Il n’est pas le seul. Muhammad et son frère Sami, 9 et 10 ans, sont aussi ramasseurs de cartons et tirent aussi des chariots hauts de plus de 2 mètres. Muhammad a un beau visage rond, des joues rougies par le vent et des yeux d’un bleu innocent. Son pull comme ses mains sont noircies par les ordures qu’il doit remuer pour récupérer les emballages. Il vient de Alep et est venu à Bursa il y a un an. Un jour il me demande : « Khale ! Tu sais parler Turc ? » Je lui répond : « Oui, un peu ». Il me regarde alors et avec un brin de tristesse dans la voix me dit « Moi j’aimerais bien mais personne ne m’a appris ». Muhammad ne fréquente pas l’école. D’après lui, son père n’ayant pas de papiers, il vit illégalement en Turquie et ne peut donc l’inscrire à l’école.
|
Pourtant, le gouvernement turc assure l’accès à l’enseignement et aux services hospitaliers gratuitement pour tous les syriens qui résident sur son sol. Mais Muhammad ne me dit pas tout. Il reste vague sur son lieu d’habitation et sur les moyens qu’il emploie pour se rendre chaque jour dans notre quartier. Dort-il dans les hangars où sont entassés les cartons qu’il collecte à longueur de journée comme les gamins d’Istanbul exploités par la mafia locale et qui ont pu être rendus à leur famille après que le gang fut démantelé par la police ? Je n’ose pas poser trop de questions. Comme je n’ose pas non plus les prendre en photo. Je préfère discuter un instant avec eux, demander de leurs nouvelles et leur offrir à mon tour des petites douceurs. J'aime lorsque le visage de Muhammad s'éclaire d'un large sourire. Mais mon cœur se révolte de ces jeunesses gâchées, brisées par la guerre. Ces enfants sont tellement dignes. Ils ne mendient pas et travaillent dur tout au long de la journée. Lors de nos échanges, j’ai remarqué que reviennent souvent les mots "alhamdullillah", "qu'Allah bénisse tes enfants" et d'autres formules prononcées avec respect.
Nous prions que Dieu leur accorde un meilleur avenir dans ce monde et dans l’autre. Amin.
Nous prions que Dieu leur accorde un meilleur avenir dans ce monde et dans l’autre. Amin.
* « Khale » : le mot signifie littéralement « tante ». Il est employé dans les pays arabes par les jeunes pour s’adresser à leur tante maternelle ou à une femme plus âgée, même si elle ne fait pas partie de leur famille.
Note : la photo est une simple illustration. Elle est empruntée au web.
Note : la photo est une simple illustration. Elle est empruntée au web.